Aujourd’hui, j’ai désherbé. J’ai cisaillé, coupé, enlevé les racines, pesté un peu. J’ai pensé à A. toute la journée. Ce geste si violent de s’ôter la vie, et moi je suis là, à remuer la terre, à planter des graines, à essayer de faire pousser des choses. Je me sens fébrile, un peu inutile, avec du recul. Devant son geste, un peu à quoi bon? Devant tant de souffrance, en quoi mes ongles plein de terre peuvent-ils changer quoi que ce soit? Je me sens angoissée, la boule monte, se répand dans mon corps tout entier, mes mains tremblent un peu. Elle m’appelle, me dit qu’elle a une mauvaise nouvelle à m’annoncer. « Sa grande soeur est décédée, un suicide je crois ».
Elle n’existe plus, dans nos souvenirs, notre mémoire oui, mais physiquement, non. J’ai vraiment de la peine à considérer cela. Je continue de planter ma pelle rouge dans la terre pour en sortir les racines, j’ai mal à ma cheville, je souffle. Je tire les feuilles vertes, je regarde la terre; pure, elle sera bientôt envahie de la nature, qui reprendra ses droits, à moins que je n’intervienne. Est-ce juste? Est-ce correct? Est-ce en accord avec la nature de venir la perturber ainsi? Il n’y a pas de mauvaises herbes, apprend-on. Je revisite la notion de bien et de mal dans ma tête. Elle devait être confuse dans celle d’A. Qu’est-ce qui n’était pas confus, hormis celle de vouloir mourir? Un jour, elle fut aussi une petite graine qui poussa gentiment, on lui donna de l’amour, des vivres, un environnement dans lequel grandir pour s’épanouir. Peut-être que tout cela n’était pas sain pour l’être. Couper drastiquement ses propres racines.
Mélanger la terre dans ses mains, la toucher, la sentir, l’humer, vouloir la manger et se rouler dedans tant elle est douce. Celle qui nourrit ce dont on se nourrira. Celle sur laquelle on marche, mais sur laquelle il ne faut pas marcher pour ne pas la tasser. Celle sur laquelle elle ne fera plus de pas. Celle sur laquelle son sourire ne se posera plus. La groliner doucement lorsqu’elle est vide de ses herbes, y ajouter une couche supplémentaire de terre noire. Le soleil caresse ma peau, enfin. Le vent léger ne me frappe pas, cette fois il n’est pas agressif pour moi, mes pensées le sont déjà assez. De l’intérieur, des coups de couteau me traversent l’estomac, le thorax, me scindent les poumons. Et elle, bons Dieux s’ils existent, qu’a-t-elle dû ressentir?
Je m’arrête. Je souffle, je respire, je souffle encore. Respirer. Ressentir la vie me traverser. Les pensées en brouillon tourbillonnent dans mon cortex préfrontal. Mon cerveau reptilien est à l’affût. Un danger semble ne pas être loin. Je regarde mes mains pleine de terre, me rappelle où je suis et imagine A. me regarder depuis où elle est, en haut forcément, comme on nous a appris depuis petites. Sur un nuage? Dans le ciel? A côté de moi? Apaisée, peut-être? Je l’espère. C’est le moins que je puisse lui souhaiter. Que la souffrance se soit arrêtée, enfin. Que son sourire soit définitivement sincère, qu’elle ait retrouvé son papa. Le vent souffle dans mes cheveux, le chat vient se frotter à mes pieds, je suis connectée au vivant et à la mort en même temps.
Pour A., qui a atteint le Paradis avant nous, je voudrais qu’on lui fasse un hommage.
Pour A., je voudrais qu’on plante des fleurs, là où la vie est morte, ou semble l’être.
Vous trouverez un kit pour apprendre à faire votre bombe à graines dans votre sac, et si vous avez envie, on peut le faire ensemble maintenant, Sinon, vous pouvez le faire où vous voulez, quand vous voulez.